force à l'union
(( crièrent-ils à l'unisson ))— le monde comme fardeau.
on lui explose au visage les plus féroces réalités de la vie, félins de l’immonde.
la violence comme berceau ; la conscience frappée contre l’enclume jusqu’à ce qu’elle s’aiguise, jusqu’à ce qu’elle se plie et se torde pour se conformer aux normes humaines.
braises de la vérité qui calcinent, qui dévorent la peau, le regard et les rêves d’enfant.
les voir partir. les voir s’éloigner.
parfois ne jamais revenir.
et attendre.
attendre attendre jusqu’à ce que le coeur risque de s’y méprendre ; que jamais leur visage n’apparaisse de nouveau dans la salle commune.
(le bruit du métal contre l’enclume)
soudain un jour, le ciel qui se voile ; dernier salut pour le soldat oublié.
le père qu’il ne regarde pas mais dont les paroles sont troublées.
le père qui ne pleure pas mais incapable de cacher le chagrin dont il est hanté.
fierté.
fierté comme crédo ; fierté comme unique manteau à revêtir durant les hivers, les lendemains de guerre, quand il faut enterrer le confrère.
le foutre quelque part où il aura le repos, où il verra plus les maux dont est zébrée la terre ; foutue misère.
et puis vint le jour où papa est reparti ; celui où jinsun a couru après l’avion, s’est enfuit des dortoirs avec tous les gosses laissés quelque part dans les couloirs, tandis que les mères pleuraient le départ de leur mari.
courir, courir en direction de l’objet volant disparu depuis longtemps ;
courir, espérant secrètement
qu’un jour ils parviendraient à les ramener
les pères attendus les maris disparus–
jinsun sa famille c’était la garnison
jinsun sa famille c’était pas facile c’était l’abandon
c’était les larmes les retards
c’était les hommes qui rentraient trop tard ;
c’était les enfants qui deviennent adultes qui quittent la lutte
qui veulent pas être militaires, parce qu’ils aimaient pas les hivers ;
c’était se faire épauler et puis bien se marrer
c’était se construire et jamais se démolir
c’était rester.
jinsun qu’est resté
bien planté ancré les deux pieds dans le sol
enraciné
à ce béton qui ne laisse pas de places aux pensées frivoles.
n e p l u s b o u g e r
comme l’arbre qui vieillit comme la pierre qui demeure et qui attend.
pour lui c’était voir les choses changer sans jamais s’en échapper
c’était voir le monde s’animer et lui est resté figé —
comme la rose désormais éclose
dont les feuilles et pétales ploient sous le poids des gouttes de la rosée
on lui a tendu une arme
on lui a donné un uniforme ; un béret et quelques chansons communes de tradition pour rester patriote et motivé ;
on lui a donné
un couteau
et des balles de plomb
(ce n’était plus que du carton, que du plastique, ces choses avec lesquelles on joue comme avec un ballon)
jinsun
qu’a continué à exister dans cette vie rythmée par les ordres et les sourires parfois ébréchés
— les matins trop longtemps supportés —
nouvelle journée.
toujours le même rythme ; la bouffe du matin et puis l’entraînement effréné.
maintenant les nouvelles recrues et puis continuer.
la bouffe du soir et couvre feu alors qu’il commence à se faire tard.
papa, maman qui décampent
qui quittent l’antre
(blessé de guerre)
mais jinsun qui demeure.
qui écrit ;
beaucoup – maman qui lui disait souvent que les mots c’était comme une autre vie
qui demande les nouvelles
mais jinsun
crayon en suspens ;
quoi écrire quoi dire
quoi raconter faut dire que ça le fait frémir
de se dire qu’il doit repartir ?
faut dire que ça le fait pâlir
de voir cette jeune fille au teint halé crever sous la soif et la chaleur d’Arabie
faut lui dire que ses pieds sont lourds que ses doigts sont fatigués
de préparer l’arme de la nettoyer la recharger
de viser
de
t i r e r
faut dire
qu’il en a assez
qu’il a jamais vraiment aimé
cette existence à l’armée ?
(soupir)
et les mots viennent ;
les mots attendus.
bonne santé, bon moral.
pour ne pas détruire la vertu.
——————promesse
(( marque de faiblesse ))— les yeux qui se plissent qui peinent à demeurer ouverts
la gorge qui se déploie mais qui peine à parler
la chaleur qui s’engouffre dans sa bouche, qui étreint ses os, prête à le dévorer.
marcher.
avancer.
faire en sorte de les distancer.
il sait
que ça va pas bien se terminer.
il sait
où est-ce que ça a foiré.
(avancer avancer)
les gars, faut pas s’arrêter.
les pieds lourds.
les pieds qui peinent ;
les cartouchières qui meurtrissent les épaules
le corps qui s’affaisse
(un peu)
— ils sont si proches —
ils les entendent ; le bruit vrombissants des moteurs
moteurs qui crachent moteurs qui hurlent
annonciateurs de la morts
clac.
clac.
se retourner
(un instant)
pan.
pan.
et encore quelques dizaines d’onomatopées
balancées à tord et à travers
(les corps qui commencent à tomber)
les leurs, les méchants ;
les leurs, ceux qui n’ont pas eu de chance ;
MONTEZ ! MAGNEZ VOTRE CUL !les deux mains caleuses couvertes de terre qui poussent
les regards hâtifs
les voir
les voir.
les voir les sentir.
les entendre aussi.
Y’A PAS L’TEMPS, Y’A PAS L’TEMPS !la mitraillette qui dégobille ses dernières munitions
pour protéger la garnison
le dernier détachement
PUTAIN PUTAIN-les mains couvertes de sang
(le leur le leur)
celui de
ses soldats.
COUREZ BORDEL DE MERDE !crier.
crier après les derniers.
qui trainent le blessé.
(il va y
r e s t e r)
COMMENCEZ À AVANCER AVEC LE CAMION, J’COUVRE LES AUTRES !l’arme calée contre l’épaule
le doigt
qui s’actionne
encore
encore
encore
encore
en-
c-
o r e
(ils partent pas)
p o u r q u o i ?
principes à la noix.
« on se replie.
– mais sergent-
– on se replie soldat. c’est un ordre. la mission est un échec. »
encore.
(il en aurait chialé)
encore.
enc-
encore ?
plus de balles
le chargeur vide qui tombe à ses pieds
murmure désespéré
fais chier, j’suis à sec.arme de poing.
pan.
pan.
regard sur l’horizon
le nombre
masqué dans les arbres dans les baraques complètement ruinées.
regard vers le dernier soldat blessé
qui court pour sa vie, qui court pour exister
il ne reste plus que lui ;
– plus qu’eux –
faut fuir
fuir fuir
fuir.
((défaite))
SERGENT !qu’il entend gueuler
SERGENT, FAUT SE RAMEUTER !qu’il entend crier.
il le sait, pourtant.
le camion qui démarre.
qui fait crisser ses pneus sur la route complètement craquelée
par le soleil et les bombes jetées
pays de
g u e r r e s
(l’Afghanistan)
courir.
il entend les balles siffler
se protéger des squelettes de bâtiments
se couvrir
trouver le moment où il peut déguerpir
la faille
l’ouverture.
parce qu’il le sait qu’il pourrait.
qu’il pourrait.
qu’il pourrait se faire abattre. qu’il pourrait finir plombé comme du gibier.
l’compagnon qui s’étend.
peut pas l’laisser peut pas l’laisser
SERGENT !la tête complètement
e x p l o s é e
(vision d’horreur)
« ça va pas le faire.
– je sais. mais je te couvre. je vous couvre. je vous couvrirai toujours. »
le fourgon coupe, quitte la route, termine dans la terre
faut l’choper
ou c’est fini, c’est terminé
(comme l’autre qui vient de s’étendre à ses côtés)
les jambes qui frappent le sol
la vie à
un
seul
fil
la main qui se tend
le conducteur qui roule presque au pas
(mais lui aussi il sait qu’il faut pas trop attendre ; à moins de se faire descendre)
attend
jusqu’à ce que la poigne se fasse, que le lien se créé que la main se serre avec fermeté
(si seulement c’était assez)
le pied qu’appuie sur l’accélérateur.
il y a cru jinsun.
il y a cru qu’il y avait que l’caporal qui allait y rester
sourire.
il suffisait
de le tirer
il suffisait
d’une fraction
de seconde
entre tes mains, seigneur ; je remets ma vie.le corps qui roule dans la poussière ;
les autres qui peuvent pas revenir en arrière.
il fallait
une fraction
de seconde.
dieu, qu’il est dur de partir.héros abandonné.
héros châtié.
héros
(( entaché ))
une balle dans le crâne.
——————divine idylle
(( qui tend à devenir mortelle ))— il te regarde
il t’admire aussi sans doute peut-être un peu
la mécanique interne qui claque
à chaque fois que vous vous murmurez
vos voeux éternels.
de son index il caresse ta joue lentement
délicatement
observe adule chacun de tes traits
(demain il repartira)
demain il se retournera
et peut-être
jamais il ne reviendra
h a r u
haru haru
pourquoi m’as tu trahis ?je vais être papa.il le murmure encore ;
comme une prière silencieuse
arrivée pansement pour le couple en déclin ;
refus de voir que l’idylle merveilleuse
touche pour sûr à sa fin.
je t’aime.qu’il te répète comme un enfant
réalité déconcertante
pour un couple qui se casse la gueule
qui se vautre qui s’écorche
qui se blesse qui brûle à la torche
de vos chemins divisés
– vous savez que ça peu pas marcher –
alors pourquoi se raccrocher ?jinsun t’aime ;
jinsun t’aime ;
jinsun t’aime sans savoir que bientôt
il laissera place à la haine
d o u c e a m e r t u m e
et il pense un instant
au futur enfant
au diamant brillant à ton doigt ;
et il pense futilement
que les cauchemars n’existent pas–
quand je reviendrais, on aura la première échographie. sourire.
qu’il est naïf
d’aimer
qu’il est naïf
d’espérer
sauver
ce qui est déjà condamné.
——————il suffirait
(( de crier ta douleur ))— abandon.
le corps qui bouge qui se fond dans le mouvement.
rédemption.
le corps qui tombe.
les yeux qui se ferment.
qui oublient.
qui oublient la douleur.
qui oublient le visage du malfaiteur.
ça va aller.la larme qui ne coulera pas.
le temps qui coule
l e n t e m e n t
les coups comme la houle
portés par le
v e n t
la mâchoire qui vibre sous la jointure de tes poings
l’âme en dérive à chaque fois que tu lèves la main
sur un homme qui ne se défendra pas.
l’essence vermeille emplit sa bouche ;
il n’ouvre pas les yeux
il refuse de considérer
d’accepter
ce monde qu’il ne peut tolérer ;
celui où le monstre prend sa parure nuptiale
et revêt l’habit de l’amant.
la douceur d’antan aspirée
remplacée par le fracas soudain
de la tempête émerveillée
qui vient remuer son palpitant en déclin.il a mal, jinsun.
pas à cause des partitions d’ecchymoses
que tu as pris le soin de composer
pas seulement au simulacre de sa peau,
mais jusqu’à les ancrer
au plus profond de ses os
tatouages d’encres bleues, violettes et vertes
multiples notes ;
jinsun peinture humaine
(ton chef-d’oeuvre)
te désignant artiste
d’une toile incertaine
d’un avenir prochain.