impossible que joeun se sente plus pathétique que les jours où cette jeune femme passe à la librairie. c'est stupide de s'en tenir à une impression ; pourtant elle s'accroche et teinte ses pensées aux traits et couleurs de cette jeune femme. beige. il a vu son prénom sur sa carte de fidélité -le pathétique du pathétique par excellence- mais il n'a pas réussi à oublier beige. il passe la main derrière sa nuque et se concentre sur le livre de murakami qu'il a entamé car de toutes façons il n'y a qu'elle dans la librairie. trois semaines sont passées depuis son réveil, son anniversaire vient juste de se terminer à sa plus grande joie et les questions aux multiples migraines sont un peu plus douce dans sa tête. il lève les yeux à la recherche de la silhouette familière et finit par la trouver avec difficulté. pourquoi, pourquoi elle plutôt que les autres filles ? il y a des tas de filles qui passent ici. il n'est pas question d'attirance non plus, ou d'amour au premier regard parce qu'il n'est pas aussi con que ça. il détourne le regard quand elle ferme le livre dans ses mains sans doute prête à l'acheter. fermant son livre après y avoir mit un marque page, il le remet à sa place d'origine dans un tiroir et la regarde à nouveau se diriger vers le comptoir. "vous avez trouvé ce que vous cherchiez ?" il demande en scannant le code barre du livre sans lui adresser un regard. il retourne le livre et analyse la couverture avec la même expression neutre avant de réaliser qu'elle va bientôt partir. "ça vous fera 25000 ₩" il lance avant de mettre un marque page dans le livre puis le mettre dans une poche comme il a prit l'habitude de le faire. seulement au moment de lui rendre le reçu la routine se brise et il attrape son poignet. et maintenant quoi joeun ?

y’a pas cours aujourd’hui. c’est samedi. elle était libre. libre de faire ce qu’elle aimait. et beige, ce qu’elle aime faire, c’est lire. alors elle retourne dans cette librairie, celle qu’elle visite souvent, celle pour laquelle elle se considère comme une cliente fidèle. comme d’habitude, beige est seule. seule avec le vendeur, celui qui ne décroche pas son regard de sa personne. bien qu’elle ait l’habitude, cela ne la rassure. il n’a jamais rien tenté à son égard. peut-être aujourd’hui ? beige ne veut pas y penser. elle se perd et vague entre les livres neufs et bien rangés, s’attardant sur chaque titre, avant de trouver celui qui lui plaira. elle en prend un, lit le résumé, le feuillette. mais non. pas celui-là. elle continue son parcours, en examine un second, un troisième. toujours pas. elle mordille sa lèvre inférieure. mauvaise habitude. elle va encore s’ouvrir, elle va encore saigner. mais beige à l’habitude, elle n’en sent plus la douleur. mme bovary. c’est celui-là qu’elle veut. elle en lit quelque ligne, mais referme le bouquin aussi tôt, préférant préserver le mystère. elle découvrira la suite en le lisant, sûrement déjà même sur le chemin du retour. elle retourne sur ses pas, ses pieds la mènent au comptoir du vendeur. elle lui accorde un demi-sourire et hoche la tête en guise de réponse. il annonce le prix, elle sort le montant demandé de son porte-monnaie préalablement préparé. mais sa main se pose sur son poignet, il la tient fermement. beige relève le regard vers lui. incompréhension, malaise. que faire ? elle a les yeux d’une souris apeurée, beige, celle de la souris menacée par le chat prêt à la manger. elle essaye de se défaire de sa prise, mais en vain. « vous pourriez me lâcher, s’il vous plait ? » beige elle a peur, elle ne sait pas comment réagir. son regard insistant sur elle, elle n’a jamais aimé ça. beige elle panique, s’il ne la lâche pas, la gifle partira d’elle-même.

(( et son regard lui dit reste ))

et maintenant quoi ? elle lui demandait de lâcher son poignet évidemment, il ignorait pourquoi il avait avait fait ce qu'il avait fait et détournant le regard tout en relâchant doucement cette emprise sur son poignet. "excusez-moi je ne sais pas ce qui m'a prit..." il semblait retrouver ses esprits. "semblait" car sa main retrouve sa place autour du fin poignet de la jeune femme sans qu'il ne puisse poser les yeux sur elle tant c'est embarrassant et ridicule à la fois. pourquoi aujourd'hui plus que les autres jours ? gagner une année de plus ne l'a pas aidé à devenir un peu plus sage apparemment, quel con. "quel con, quel con, quel con" la phrase se répète dans sa tête sans qu'il ne puisse arrêter la suivante qui dépassent la barrière de ses lèvres "excusez moi ça va vous paraître stupide mais... je...- j'ai essayé de vous adresser la parole à plusieurs reprises parce qu'à chaque fois que je vous vois j'ai l'impression de vous connaître. mais je ne suis pas une personne bizarre ! je n'arrive plus à me sou...-" quel con.

et sa main s’écrase sur sa joue. il s’explique, se justifie, trouve des excuses, mais beige ne veut plus l’entendre. peut-être était-ce vrai, peut-être était-ce faux, elle n’y voyait pas l’intérêt de la savoir. alors elle l’oblige à se taire, le libraire, parce qu’elle ne veut plus entendre ces idioties de sa bouche. elle n’est pas énervée, elle n’est pas fâchée ; elle a peur. elle a peur de ce qui aurait pu se passer si elle l’avait laissé continuer de parler. peur ce qui serait arrivé si elle l’avait laissé faire. c’était par pur défense, beige elle a juste voulu se protéger de l’inconnu et de ses potentiels dangers. ses yeux grands ouverts, un tantinet larmoyants, elle ne décroche pas son regard de l’employé, lui qui fuit le sien pendant qu’elle le suit. et beige se détache de l’emprise de celui qu’elle qualifiera d’agresseur, elle sort de la boutique sans oublier son achat, dans le plus grand des silences, sans un mot ni dernier regard. seuls ses derniers pas résonnent dans la pièce avant qu’elle ne passe le seuil de la porte. beige elle courrait presque, jusqu’à son arrêt de bus, où elle s’assoit, quelque peu chamboulée et effrayée.