Alcohol is thicker than blood

Kwan & Satoshi

Il était blessé. Et le sang coulait, tâchait, éclaboussures écarlates sur sa chemise immaculée, roses de sang éclos sur ses vêtements, fleuraison abondante qu'il ne contrôlait pas, rosier montant qui n'avait pas l'air de vouloir s'arrêter. Blessé oui, ensanglanté, mais pas gravement, du moins il croyait, au fond il s'en moquait. Et il marchait, lentement, laissant des traces sur son passage, marquant son chemin tel le petit Poucet. Blessé et fatigué. Mais il continuait d'avancer, d'aller là ou ses pieds le guidaient, traînant son corps dans les rues sombres, le visage livide mais ou aucune trace de douleur n'était présente. Blessé mais insensible. Il ne ressentait rien, rien à part ce sang que s'écoulait de ses plaies, rien à part sa fatigue qui lui prenait la tête.

Rien ne pouvait indiquer qu'il était blessé, qu'il venait de se battre, rien à part sa chemise décorée de rouge qu'on pourrait prendre pour un imprimé si elle ne lui collait pas à la peau, rien à part quelques déchirures minimes dans sa chemise.
Rien d'autre dans sa posture, son visage ne montraient le moindre signe de panique, de peur ou de douleur.

Six contre un. Lâche. Il ne pouvait pas s'en sortir indemne. Il avait beau être fort, avoir confiance en ses capacités, il savait ce qu'il pouvait gérer ou pas. Et six personnes d'un coup, c'était quelque chose qu'il avait eu du mal à régler, problème qu'il ne pouvait pas dominer sans verser du sang des deux côtés.

Il leur avait fait mordre la poussière, avec une certaine difficulté, mais l'important était qu'il l'avait fais. Blessé oui, il l'avait été, mais il n'y faisait même pas attention. Égratignures. Éraflures. Ce n'était rien. Juste un peu de sang. Juste des cicatrices en plus. Juste rien.

Les gens s'écartaient sur son passage. Il ne devait pas être très rassurant à voir et pourtant il n'était pas négligé, mais ce rouge, tout ce rouge, effrayé, paniqué.

Il n'y avait pas que le sien. Lui ne saignait pas beaucoup, en fait il n'en savait rien mais il le sentait, il ne saignait pas beaucoup. Par contre, eux, il les avait abandonné dans une marre écarlate, bain de rubis, champs de coquelicots en fleur. Vivants ? Il n'en savait rien non plus, sans doute, il espérait. Mais il avait leur sang sur sa chemise. Et il ne voulait pas partir.

Il poussa la porte de la boîte. Il était tôt. Il n'y avait presque personne. Calme. Du calme. Ça faisait du bien. Il le chercha du regard. Il s'assit au bar. « Comme d'habitude s'il te plaît. » Il devait faire taire la douleur de son cœur pas de son corps.

Alcohol is thicker than blood

Kwan & Satoshi

Chiffon sur l'épaule, son regard balaye la salle qui se remplit peu à peu ; les premières heures sont toujours tranquilles et il s'y ennuie parfois tellement, qu'il s'amuse à compter les rangées de verres vides se trouvant sous son bar. Son bar, même s'il le partage avec un autre, il ne manque jamais de lui rappeler lequel des deux commande. Les clients se succèdent et la nuit s'entame doucement, les voix mêlées à la musique vibrante, mais pas encore assez pour couvrir les voix ou faire trembler les murs. Un schéma qui se répète presque tous les soirs, il s'y plait dans ce monde nocturne, il y a toujours vécu, mais il ne peut s'empêcher d'avoir des impressions étranges tous les matins. Parfois même lorsqu'il se rend à la supérette de son quartier, des sentiments qui lui tordent les tripes et l'angoissent l'espace de cinq minutes. Puis plus rien, il se reprend et c'est le retour au quotidien. Les minutes filent et il ne regarde déjà plus l'horloge, tourné vers les différentes bouteilles de jus et de sirops qu'il prépare pour la nuit ; il vérifie le bac à glaçon, l'état des shakers et un dernier coup de chiffon sur le marbre du bar avant qu'une silhouette familière ne s'arrête face à lui. Les tabourets libres sont nombreux, mais lorsqu'il relève les yeux sur l'homme, un sourire malin étire ses lèvres et il a posé un verre devant lui avant même qu'il ne parle. Un habitué qu'il apprécie de revoir et qui malgré les faits qui les lient, demeure un immense mystère pour le barman. Il verse un fond de whisky dans son verre avant de laisser la bouteille à portée du japonais. « Une affaire délicate ? » Il lui désigne sa chemise du menton, tâchée de rouge et il espère que ce sang n'appartient pas qu'à lui. « On a de quoi t'aider à l'arrière si besoin, » ils ont de quoi administrer les premiers soins, mais le Jeong doute fort que le yakuza s'en tienne à lui demander de l'aide pour ça. Et ce n'est même pas par fierté, car l'homme en face de lui n'en a pas tant que ça. Ça joue très certainement dans le fait que Kwan l'apprécie, même si lui, s'est montré fier envers son sauveur les premiers temps. « Sérieux Sato, c'sang là, sur toi, c'est pas le tien j'espère ?? » Ce n'est pas la première fois qu'il viendrait le voir amoché, mais avec autant de sang sur lui ? Si. Puis, il ne voudrait pas qu'il effraie les clients non plus ou que son boss vienne s'en mêler. Ce n'est pas encore Halloween – Ito-san a pris un peu d'avance.

Alcohol is thicker than blood

Kwan & Satoshi

Perdu. Perdu dans les rues bondées de personnes qui lui ressemblaient et pourtant qui étaient si différentes. Perdu, mais ses pieds, ses jambes savaient parfaitement ou aller, ou le mener. Perdu mais il voulait retrouver son refuge, refuge atypique, refuge d'homme égaré, bar exilé dans les rues sombres, noyade dans l'alcool, absorbé par les paroles d'un ami, oubliant, oubliant tout. Oubliant le sang qui décorait sa chemise, oubliant ses blessures ouvertes, oubliant les personnes qu'il avait laissé pour mortes, s'oubliant lui même. Il avançait sans réfléchir, sans penser, il avançait juste, pour rejoindre ce lieu qu'il visitait presque tout les soirs et ce soir ne fera pas exception, malgré son état, malgré sa situation, malgré ses pensées vides, et perdues.  

Il poussa les portes, les yeux hagards, le sang aux plaies, et le non sourire aux lèvres. Il traînait légèrement des pieds, fatigué, épuisé. Est ce qu'il s'était transformé en escargot, laissant sa bave sanglante sur son passage, trahissant son chemin, donnant sa position, mais ça il s'en moquait, lui il ne voulait juste pas salir le bar de Kwan, il ne voulait pas lui donner du boulot en plus. Le sang c'était galère à faire partir, le sang c'était tenace, ça s'encrait dans le sol et ça ne voulait plus partir, marque indélébile, marque de son passage, pour toujours, pour l'éternité. Il ne voulait pas laisser de trace, il ne voulait pas qu'on souvienne, qu'on penser à lui, que son sang se retourne contre lui.

Soupire. Installé à sa place, verre à la main, la gorgé en feu par l'alcool descendant. Il se sentait déjà mieux. Illusion de la brûlure du liquide du démon. Il n'allait pas mieux, il n'allait pas bien. Et plus le temps passait, plus sa tête tournait.

« Hm » Délicate non, chiante oui. « Une bande d'idiots qui ont voulu faire les malins. »Voix lasse, des idiots qui avaient failli l'avoir par leur nombre, lâches qui avaient mordu la poussière par leur acte téméraire, cadavres qui avaient réussi à faire couler son sang. Il balaya d'une main sa proposition d'aide, reprenant plutôt une gorgée de son verre déjà presque vide. Il n'en avait pas besoin, du moins c'était ce qu'il pensait, mais son corps lui disait autre chose, continuant de cracher son liquide écarlate, rejoignant les tâches déjà présente sur sa chemise autrefois immaculée.

Il baissa la tête, regardant sa chemise à la remarque de Kwan. « Il y a les deux. » Mais alors lequel tâchait le plus sa chemise ? Ça il n'en avait pas la moindre idée. Il attrapa un pan de sa chemise, la décollant de son corps. Il grimaça à la sensation. C'était désagréable, et dégoûtant, bruit de succion infâme. La douleur ? La douleur il s'en moquait, la douleur il ne la sentait presque pas, pourquoi, pourquoi il ne la sentait pas, pourquoi elle ne l'atteignait pas. Il ne savait pas, il ne savait plus, ça aussi il s'en moquait, oui le plus important c'était de se débarrasser de cette chemise dégueulasse qui lui collait à la peau, mouillait de sang, qui puait le fer. « Tu n'auras pas une chemise en rab pour moi Kwan ? Celle la est fichue je crois. » Pas de je crois. Elle était fichue. Dommage il l'aimait bien. « Puis j'attire trop l'attention avec ce truc sur le dos. » Il voulait qu'on lui fiche la paix un peu.